Avez-vous vu Seul sur Mars ? Dans ce blockbuster, Matt Damon se retrouve seul sur la planète rouge. Pendant qu’il met en place les conditions de sa survie, les agences spatiales cherchent la solution pour le sauver.
Dans ce film, on retrouve quelques-uns des grands enjeux et paradoxes de la gestion de projets aérospatiaux : temps long de développements complexes vs urgence de la mission ; transversalité des problématiques ; ressources à mobiliser vs ressources à disposition (notamment dans l’espace), etc.
En effet, les missions spatiales sont des projets de longue haleine. Elles nécessitent la collaboration entre différents centres de recherche issus de différents pays. Tous ont besoin de R&D dans de nombreux domaines pour mener à bien leurs projets. Cela requiert également des ressources importantes à la fois humaines, matérielles et financières.
Ces conditions « extrêmes » de gestion de projet ont beaucoup à nous apprendre : il s’agit d’une source d’inspiration et de réflexion pour la gestion de projets innovants.
Voici les 3 bonnes pratiques en matière de gestion de projet R&D que l’on peut retenir des projets spatiaux.
Structurer une équipe projet
Pas de projet R&D sans équipe dédiée : il est essentiel de bien définir les périmètres et fonctions associés à chaque membre de l’équipe projet.
Multiplicité des acteurs et enjeux de gouvernance
Les projets spatiaux se caractérisent par le grand nombre d’acteurs impliqués. Prenons l’exemple de la mission Plato de l’ESA (European Spatial Agency). Ce projet d’observatoire spatial réunit des scientifiques et ingénieurs de 23 pays différents ainsi que des entreprises privées pour participer à la construction du satellite (OHB, ThalesAlenia et RUAG).
Le panel d’acteurs en présence sur ce projet est d’une grande diversité :
– structurelle : universités, centres de recherche, entreprises privées, agences spatiales
– géographique : intercontinentale, intra-européenne, etc
– professionnelle : chercheurs, ingénieurs, chefs de projet, fonctions supports, etc.
La coordination représente dès lors un enjeu majeur qui repose sur l’organisation et la structuration du collectif. Comme en témoigne l’organigramme ci-dessous, le fonctionnement au sein de l’équipe projet de l’ESA se fait par élément-clé de la mission.
Comment améliorer sa gestion de projet ?
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Fort heureusement, tout projet R&D n’a pas la complexité d’une mission spatiale. Pour autant, la question de l’organisation des équipes et plus encore, celle de la gouvernance sont cruciales. Elles font partie des facteurs de réussite d’un projet de recherche et développement.
En matière de management d’équipe R&D, on retiendra donc les points suivants :
- Il est essentiel de construire d’emblée une gouvernance claire.
Cette phase de structuration interne passe par la mise en place d’une équipe de pilotage ou/et de direction. Au sein de cette équipe, les rôles doivent être clairement définis : stratégique, opérationnel, gestionnaire, etc. - Cette gouvernance doit être « légitime » aux yeux du consortium.
Parce qu’elle va gérer les tensions et difficultés, la gouvernance doit à la fois entretenir une relation de confiance avec son équipe et témoigner d’une prise de décision éclairée. La fluidité dans la transmission des informations étant un des des facteurs de succès, il convient de créer et d’alimenter un langage commun.
La double posture du pilote de projet : scientifique et technicien
Le scientifique, tel que le définit Winston Churchill, est tourné vers l’avenir : il utilise ses connaissances pour tracer les lignes de notre monde futur. Le technicien est quant à lui ancré dans le présent : il utilise les moyens à sa disposition pour agir. L’un anticipe, l’autre effectue. Nous allons voir pourquoi les deux postures sont indispensables à tout projet R&D.
Une mission spatiale n’a pas de SAV. Une fois lancée, il est difficile d’intervenir à distance comme en témoignent les difficultés rencontrées par les robots d’exploration lancés sur Mars : panneaux solaires couverts de poussière, enlisement, etc. La gestion de ce type de projet implique d’associer la capacité d’anticipation et les aptitudes à l’effectuation.
Cela requiert d’être capable d’anticiper les risques tout en étant capable de s’adapter en cas de difficulté imprévue. Dans le cas du rover Spirit, enlisé sur Mars, il sera finalement utilisé comme une base de recherche scientifique fixe.
Un autre exemple intéressant concerne les ressources. Il faut savoir que le poids d’une mission satellite est limitée à la fois par les capacités des lanceurs et par les coûts. Il est donc essentiel de définir les priorités et de répartir les ressources pour chaque mission.
Ces paradoxes de la posture et des ressources sont inhérents à tout pilotage de projet. Il convient d’anticiper les besoins futurs et donc les ressources nécessaires pour y répondre (vision long terme) tout en étant en mesure d’apporter des solutions immédiates avec les ressources à disposition (vision court terme).
Acquérir cette double posture est autant un apprentissage qu’un entraînement au quotidien. Vous pouvez former vos responsables de projets innovants et/ou responsables R&D à l’acquisition de ces réflexes. Myriagone Conseil vous propose une approche sur-mesure adaptée à chaque projet et à chaque structure : demander conseil.
Formaliser sa feuille de route R&D
La formalisation d’une feuille de route R&D est un passage obligé dans la gestion de projet : elle fait appel à votre capacité d’anticipation et de structuration.
Qualification et sélection des projets
Les agences spatiales telles que la NASA (1) et l’ESA lancent régulièrement des appels à projets auprès de la communauté scientifique pour proposer des missions d’intérêt. Il en résulte une abondance de candidatures et surtout la difficile question de la sélection des projets.
Un phénomène que l’on retrouve dans toute démarche d’innovation :
- Selon quels critères qualifier les projets d’innovation soumis ?
- Comment les sélectionner ?
- Que faire des projets restants ?
Dans le cas des missions spatiales, plusieurs critères sont mobilisés dont un en particulier mérite que l’on s’y arrête. Il s’agit du critère de maturité technologique aussi appelé « Technology Readiness Level ». Il a donné naissance à l’échelle TRL qui est aujourd’hui un outil-clé pour toute gestion de projet innovant.
Il est également intéressant de souligner la complexité du système décisionnel puisqu’une mission est constituée de projets qui vont à leur tour requérir de nombreuses études et travaux de R&D.
La simplicité apparente du processus de sélection des missions au sein de l’ESA ne doit pas nous tromper. Elle résulte d’un travail d’organisation considérable dans un contexte multi-scalaire et multi-actanciel. La Nasa et l’ESA (3) mènent un projet pharaonique par décennie tout en lançant des missions plus modestes régulièrement.
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On en retiendra que, pour tout projet R&D, la mise en place d’un processus et d’organes compétents à même de qualifier la faisabilité d’un projet et de quantifier l’effort de RDI à mettre en place sont incontournables. Ils constituent l’étape amont indispensable à la formalisation d’une feuille de route R&D.
La nécessaire anticipation des ressources
Au moment de la structuration du projet, l’étape-clé est évidemment celle de la quantification et de l’organisation des ressources. Néanmoins, cette question ne peut pas rester figée dans le temps. Puisque par définition un projet R&D comporte de nombreuses incertitudes, les ressources nécessaires peuvent largement varier.
Ainsi, des échecs technologiques peuvent-ils avoir pour conséquence une explosion des budgets. C’est pourquoi il est essentiel d’inclure la gestion du risque dès le début et de prévoir des marges de sécurité lorsque l’on pilote un projet d’innovation.
Des marges qui sont d’autant plus variables qu’un projet est long… Ce qui nous amène à la question cruciale de la continuité d’un projet en dépit des échecs, des aléas et des revirements budgétaires.
Maintenir sa trajectoire tout au long du projet
Un projet réussi est un projet pensé à long terme. Si la trajectoire peut être semée d’embûches, gardez en tête votre destination…
Apollo 13 ou l’ « échec réussi »
Particulièrement spectaculaires, les échecs des missions spatiales ont marqué l’Histoire.
Il en va ainsi du retour en catastrophe d’Apollo 13 sur Terre. Qualifié par la NASA « d’échec réussi » il incarne l’autre paradoxe de la gestion de projet : celui du risque de l’échec et des nécessaires itérations.
Parce qu’en cas d’échec les résultats sont souvent catastrophiques avec des destructions intégrales, des garde-fous ont été mis en place grâce à l’échelle TRL mentionnée plus haut. Pour autant, l’erreur tout autant que l’échec sont des passages obligés de tout projet R&D sur lesquels il convient de capitaliser.
Suite à la disparition de la sonde américaine « Mars Climate Orbiter » en 1999, une commission a été mise en place pour comprendre l’origine du problème. L’enquête a soulevé un problème de différence de mesures employées entre les ingénieurs concepteurs de la sonde (en livre force seconde) et celles du logiciel de l’équipe de navigation (en newton seconde). En entraînant une modification de trajectoire, la différence de mesure a causé la destruction de la sonde.
Le message ici n’est pas de dire que l’échec est inconcevable. Mais plutôt d’indiquer que les risques doivent être balisés le plus possible en amont du projet et inclus dans la feuille de route. Ils peuvent être réduits au minimum grâce à des tests et une analyse fine des sources d’échecs. Cette règle est encore plus importante à mesure que la complexité du projet augmente.
Il s’agit aussi de souligner l’importance de ne pas s’en tenir à un échec. Systématiser le retour d’expérience à l’issue de tout projet ou étape du projet, indépendamment de l’atteinte des objectifs, est essentiel.
Comment garantir la continuité d’un projet dans le temps ?
Saviez-vous qu’entre sa mise en chantier dans les années 1970 et son lancement, il aura fallu plus de 20 ans pour voir se concrétiser le projet de télescope spatial Hubble ?
Pour la sonde spatiale Rosetta, les échelles de temps sont similaires. L’idée a vu le jour au milieu des années 1980, pour un lancement en 2004 et une arrivée sur place en 2014…
Il va sans dire que dans ces intervalles, de nombreux changements sont survenus. Le paysage géopolitique (cruciales dans le domaine du spatial) s’est radicalement transformé, les budgets ont été redéfinis, les équipes ont changé. Entre temps, de nouveaux chercheurs, techniciens et gestionnaires ont été impliqués.
D’ailleurs, dans le cas des missions spatiales, c’est un fait admis : le projet dépasse bien souvent les porteurs initiaux. Les projets spatiaux sont en général mis en place pour les générations de scientifiques suivantes.
Dans ce contexte, les enjeux sont multiples, notamment maintenir le cap sur le projet validé, maintenir l’adhésion et l’implication ou encore partager l’information.
Cette problématique du temps et de la continuité sont communes à tout projet R&D. Nous les retrouverons par exemple en cas de changement d’équipe, de nombreuses itérations ou s’il y a rachat ou fusion d’entreprises.
Pour y répondre, la solution réside dans la communication. Une gestion de projet efficace dans la durée repose sur des objectifs partagés et sur une animation régulière de l’avancement. A cet égard, la formalisation, le suivi et la communication de la roadmap technologique évoquée plus haut constituent des passages obligés.
Par leur envergure exceptionnelle, les missions spatiales ont beaucoup à nous apprendre en matière de gestion de projet R&D. Soumises à des contraintes fortes, en proie à de nombreux aléas, elles nous livrent trois bonnes pratiques à retenir pour le pilotage de projet innovant :
- Structurer une équipe projet assise sur une gouvernance solide
- Formaliser une feuille de route R&D et la communiquer
- Maintenir sa trajectoire indépendamment des échecs et bouleversements.