En 1957, Spoutnik était mis en orbite devenant ainsi le premier satellite artificiel. 64 ans plus tard, l’Union of Concerned Scientists ne recensait pas moins de 3372 satellites actifs [1].
Un nombre en constante progression et qui pourrait même exploser dans les années à venir. En effet, les satellites sont devenus indispensables pour nos activités terrestres : observation et cartographie de la Terre, analyse du climat et de la météo, communication, recherche scientifique, systèmes de positionnement et défense.
Entre multiplicité des acteurs et des enjeux, entre mégaconstellations et nanosatellites, on en vient donc à se demander si l’espace ne serait pas un « nouveau far west ». Récemment, plusieurs communautés scientifiques et organismes internationaux tel que l’IAU, l’ONU et l’OCDE ont alerté sur les risques de cette conquête frénétique.
Dès lors, il nous semblait important de revenir sur les risques engendrés par cette ruée vers les étoiles et surtout de poser le cadre d’une approche raisonnée et durable de la conquête spatiale.
Les conséquences d’une conquête spatiale frénétique
Alors qu’Elon Musk envisage de créer des mégaconstellations allant de 12 000 à plus de 40 000 satellites, on en vient à s’interroger sur les conséquences actuelles de l’accroissement du nombre de satellites en orbite.
La pollution lumineuse : quand « la nuit n’est jamais complète »
Les mégaconstellations génèrent une forte pollution lumineuse qui va aller en s’accroissant : ainsi, rien que pour la méga constellation Starlink d’Elon Munsk, 110 satellites devraient être visibles à l’œil nu et des centaines de flashs lumineux devraient parcourir le ciel. Ces flashs devraient avoir la même intensité que Vénus qui est l’objet le plus brillant du ciel nocturne après la Lune.
Selon les dernières études, les mégaconstellations pourraient rendre le ciel nocturne 10% plus lumineux que sa brillance naturelle [6]. Une pollution qui viendra s’ajouter à la pollution au sol contre laquelle on commence juste à lutter avec la politique de la trame noire en France.
Les conséquences de cette pollution sont multiples et impactent particulièrement le champ de l’astronomie. Tout d’abord, cela brouille les observations scientifiques car les passages de ces satellites brillants laissent des traînées blanches sur les capteurs (Figure 1).
Une situation critique pour le futur méga télescope Vera Rubin qui devra cartographier l’intégralité du ciel tous les 3 jours. Les estimations actuelles montrent qu’entre 30 et 40% des observations seront inutilisables à cause de ces satellites. Dans ces conditions, les objectifs scientifiques du projet semblent difficiles à atteindre.
Un autre risque porte sur l’endommagement et la destruction du matériel. En effet, les capteurs et les optiques des instruments scientifiques sont très sensibles car ils sont conçus pour observer les phénomènes peu lumineux du cosmos. Ils collectent donc beaucoup de lumière grâce à des miroirs de plusieurs mètres. Ces flashs de lumière risquent d’apporter des flux de photons trop importants ce qui pourrait « brûler » les capteurs et les rendre ainsi hors d’usage.
Les astronomes de l’observatoire Vera Rubin sont inquiets pour le sort de la caméra et son capteur de 3,2 milliards de pixels en cours de développement, soit un investissement R&D de 168 millions de dollars (27).
Le dernier point concerne la radioastronomie. Afin de pouvoir observer des signaux dans toutes les longueurs d’onde sans contamination, les observatoires radios sont construits dans des déserts, loin des villes et de toute forme de communication électromagnétique d’origine humaine.
Or, avec le développement des mégaconstellations, ces observatoires isolés vont se retrouver survolés par de nombreux satellites qui émettront des ondes électromagnétiques vers la Terre, ce qui perturbera l’astronomie radio. De plus la multiplication de satellites associée à la forte demande de fréquences radio pour communiquer pose également des problèmes d’interférences avec les systèmes de communication entre les satellites et les stations au sol.
Notons tout de même que la pollution lumineuse n’est pas l’apanage des mégaconstellations. Des entreprises profitant de la baisse des coûts de lancement et de fabrication des nanosatellites se lancent dans l’exploitation du ciel pour des activités récréatives ou publicitaires. On retrouve ainsi une entreprise japonaise qui souhaite créer des pluies artificielles d’étoiles filantes [7, 8].
L’encombrement spatial, les débris et l’effet Kessler
La pollution lumineuse n’est pas la seule conséquence de la conquête spatiale. Au-delà des milliers de satellites actifs, la majorité des objets en orbite sont des débris et des déchets issus d’anciennes missions. On peut ainsi retrouver des restes de lanceurs, de satellites ayant fini leurs missions, des satellites défaillants suite à des pannes ou encore des outils perdus par les astronautes lors de sorties extravéhiculaires [12].
Actuellement, les études montrent que des dizaines de millions de débris sont en orbite autour de la Terre. Parmi eux, on recense officiellement environ 22 000 objets observables. Les déchets proviennent majoritairement de l’explosion des réservoirs d’énergie des satellites et des lanceurs qui créent de très nombreux petits débris qui restent en orbite [9]. Comme l’explique Holger Krag, chef du Programme de sécurité spatiale de l’ESA, malgré la mise en place de mesures pour empêcher ces explosions, on ne constate aucun ralentissement de la fréquence de ces évènements.
En 2007, on constate un bond du nombre de débris suite à l’expérience chinoise de destruction du satellite Fenguyn-1C. En 2019, la première collision entre des satellites (Iridium 33 et Kosmos-2251) est observée. Elle a généré environ 2000 débris nouveaux. Cette valeur devrait encore augmenter de quelques milliers avec la destruction de Cosmos-1408 par la Russie [42] le 15 novembre 2021. Depuis 2016, l’accroissement de la quantité de déchets est dû essentiellement au lancement des premiers satellites des mégaconstellations et des nano satellites.
En effet comme le rappelle Jean-Michel Bois, directeur des vols à l’ESA,
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L’augmentation des débris spatiaux augmente donc les risques d’endommagement des satellites et nécessite des solutions de protection et de prévention. Pour lutter contre les débris de moins de 1cm, l’une des techniques actuelles consiste à renforcer le blindage des satellites. Une solution qui augmente le coût des satellites de l’ordre de 10% [11] et qui ne permet pas de se protéger des objets plus gros. Les objets de quelques centimètres sont les plus dangereux car ils sont à la fois difficiles à détecter et à suivre et en plus les blindages actuels sont inefficaces contre eux. Pour les débris plus gros, des suivis sont réalisés et des systèmes anticollision et d’évitement sont mis en place.
Le risque de voir se produire l’effet Kessler, comme ce que l’on peut voir dans le film Gravity, augmente fortement avec la conquête spatiale actuelle. Dans ce scénario, des débris spatiaux vont percuter des satellites ou d’autres débris plus gros générant à leur tour de nouveaux débris qui vont percuter de nouveaux objets en orbite. Le chercheur de la NASA Donald J. Kessler a montré à la fin des années 70 que s’il y a plus de 100 000 débris de plus d’1 cm à une altitude LEO (inférieure à 500 km), la moindre collision entre des objets va générer une réaction en chaîne qui détruira l’ensemble des satellites présents sous cette altitude. La présence de cette coquille de débris empêchera par ailleurs l’exploration spatiale et le lancement de nouveaux satellites.
« Il est grand temps de rallumer les étoiles » : quelles solutions pour préserver le ciel et l’espace ?
Face à cette situation de nombreux acteurs tentent de proposer de nouvelles solutions pour protéger l’espace, l’accès à l’espace et l’observation du ciel. Les approches pour protéger l’espace reposent à la fois sur la concertation, des changements juridiques et sur des solutions technologiques à développer.
Une solution : la concertation et la mutualisation
Pour réduire le nombre de satellite et par conséquent le nombre de débris et la pollution lumineuse, une des solutions serait de mutualiser les moyens notamment dans le cadre du déploiement de mégaconcentration pour les services 5G.
La mise en commun des ressources permettrait de créer un réseau unique de satellites 5G et de réduire le nombre de satellites en évitant la redondance des moyens pour maintenir le service [10].
Cependant une telle approche se heurte à des réalités économiques et géopolitiques et aucun consensus entre les différents acteurs n’a pu être obtenu lors de la SATCON2 organisée par l’American Astronomical Society.
Faut-il revoir le droit spatial ?
Le cadre légal actuel repose sur le traité de l’espace de 1967. Cependant la situation et les problématiques actuelles imposent de le revoir.
Par exemple, la question des débris et de la responsabilité en cas d’accident n’est pas explicitement présentée. A ce jour, il est nécessaire de se lancer dans une interprétation des différents articles pour en extraire des règles de fonctionnement. Le problème réside notamment dans l’identification des responsabilités.
Selon la règle actuelle, le pays qui lance le satellite est responsable des dommages qu’il peut occasionner sur les objets appartenant à d’autres pays. Bien que transparente, l’application de cette directive est difficile à mettre en place dans le contexte actuel. En effet, comment déterminer l’origine des débris lorsqu’ils sont inférieurs à 10cm ? Une situation d’autant plus délicate qu’il est de la responsabilité de l’Etat qui subit les dégâts de prouver l’origine des débris et la responsabilité de l’objet… Une situation qui risque de devenir encore plus complexe avec l’arrivée d’acteurs privés.
Autre cas litigieux : le nettoyage de l’espace. Le traité de l’espace stipule que chaque pays garde la propriété et le contrôle de ses satellites. Il faut donc l’accord du pays propriétaire si un acteur tiers souhaite retirer ce satellite de l’espace. Et pour pouvoir désorbiter un satellite, des transferts d’informations sont parfois nécessaires entre les deux parties (pour des raisons de sécurité notamment) ce qui peut poser des problèmes de confidentialité et de propriété intellectuelle [33].
Face à ces impasses, l’OCDE appelle les différents acteurs publics et privés à travailler main dans la main pour résoudre la situation. Elle les invite à utiliser des politiques qui ont fonctionné dans d’autres domaines pour réguler les pollutions : taxes, permis d’exploitation, accords de collaborations volontaires [19]. Pourtant, à l’heure actuelle, seule la France semble avoir adopté une règlementation contraignante pour la gestion des débris [34].
En attendant la mise en place d’un nouveau droit international et d’un nouveau traité de l’espace, les plus grandes agences spatiales telles que l’ESA, le CNES, la JAXA ou la NASA ont mis en place des règles de bonne conduite [23,24,25,26] pour limiter le risque dû aux débris. Il faudrait dès lors que les nouveaux acteurs privés et les autres agences nationales adhèrent à leur tour à ces règles.
Pollution lumineuse : des solutions encore à l’étude
Nous l’avons dit : le déploiement de mégaconstellations va générer de la pollution lumineuse. Suite aux mises en garde des astronomes concernant l’impact lumineux de Starlink, Elon Musk a lancé un nouveau programme de développement pour réduire la réflectivité de ses satellites.
La première solution testée concernait les DarkSat : des satellites sombres et donc moins réfléchissants. Si cette solution permet de réduire par un facteur 2 la quantité de lumière réfléchie, la réflectivité n’en demeure pas moins beaucoup trop élevée (facteur 4000) pour la sensibilité des instruments scientifiques au sol [3].
Starlink a donc revu sa copie et continué ses travaux avec le développement de VisorSat. Dans cette nouvelle génération de satellites on vient ajouter des « pare-soleils » afin de limiter la réflexion de la lumière vers la Terre. Les ingénieurs ont élaboré une mousse noire à ajouter aux satellites mais qui reste transparente aux ondes radio de façon à maintenir la communication des satellites [4]. Cependant encore une fois les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Les analyses réalisées sur des satellites VisorSat lancés en 2020, ont montré que cette solution ne permet de réduire que faiblement la réflectivité des satellites par rapport à la version DarkSat [5].
En attendant la mise au point d’une solution technique à la pollution lumineuse produite par les mégaconstellations, on pourrait envisager de donner les accès des orbites précises de l’ensemble des satellites aux astronomes. Cela leur permettrait d’adapter les plannings d’observations et de développer des algorithmes de suppression des effets néfastes de ces satellites.
La lutte contre la génération de déchets spatiaux
De plus en plus d’acteurs dans la construction de satellites et de lanceurs ont pris conscience du besoin de garder l’espace propre pour permettre le lancement de nouvelles missions et le remplacement des satellites obsolètes. Nombreux sont ceux qui adhèrent au guide de bonnes pratiques et tentent de désorbiter leurs satellites et de limiter les déchets issus du lancement.
Cependant les valeurs de désorbitation sont encore très faibles dans le cas des satellites. On estime ainsi que seuls 15 à 20% des satellites dans la région LEO ont tenté d’être en conformité avec les directives internationales et seuls 5 à 10% ont véritablement réussi. Une pointe à 35% en 2018 a été observée lorsque la première génération de la constellation Iridium a été désorbitée.
Du coté des lanceurs, ils sont de plus en plus nombreux à se conformer aux prérogatives. Les tentatives sont de l’ordre de 40 à 80% avec des taux de succès effectif entre 30 et 70%. Depuis 2017, 30% des lanceurs effectuent des rentrées contrôlées et sécurisées. Un taux qui devrait augmenter dans les années à venir avec le développement des lanceurs réutilisables.
On note quand même le cas particulier de l’orbite géostationnaire, où les mesures d’atténuation de débris et de désorbitation représentent des tentatives comprises entre 85 et 100% avec des taux de succès entre 60 et 90%. Les acteurs commerciaux utilisant cette orbite ont véritablement pris conscience que leur modèle économique pourrait s’achever si l’orbite géostationnaire était polluée.
Les analyses montrent que les taux de désorbitation des satellites restent relativement faibles. Des travaux sont menés par l’ESA pour mieux comprendre comment les satellites et les lanceurs se désintègrent dans l’atmosphère et comment les techniques pourraient s’améliorer pour réduire les risques de dégâts au sol [13].
Une des approches est de comprendre comment les différents matériaux, les différentes structures et la géométrie du satellite vont influencer le nombre et la taille des fragments qui seront fabriqués durant la combustion dans l’atmosphère et combien vont toucher le sol. Ces travaux nécessitent de nombreuses compétences transversales pour comprendre dans le détail la désintégration des satellites.
Les études réalisées ont ainsi montré que les panneaux solaires et leurs systèmes de pilotage (Solar Array Driving Mechanics, SADM) sont les éléments critiques de la création de débris [14]. Etant constitués d’acier et de titane, ils peinent à brûler lors de leur rentrée dans l’atmosphère. En 2020, l’ESA a lancé, en collaboration avec les entreprises Kongsberg Defence & Aerospace (KDA), Hyperschall Technologie Göttingen GmbH (HTG) et l’agence spatiale Allemande, le développement d’un modèle détaillé de description de SADM ainsi qu’un autre modèle de simulation de brûlage dans l’atmosphère de ces pièces en fonction de différents paramètres.
Ces travaux en cours devraient ouvrir la voie au développement de satellites capables de se désintégrer entièrement dans l’atmosphère.
Peut-on nettoyer l’espace ? La question de la collecte des déchets
Les travaux de R&D associés à une prise de conscience globale devraient permettre dans les années à venir de limiter et de contrôler la prolifération des déchets dans l’espace grâce notamment aux progrès en matière de désorbitation.
Cependant la désorbitation n’est possible que sur des satellites opérationnels. Or, pour diverses raisons (tempêtes solaires détruisant l’électronique du satellite, défaillance électronique, perte de communication, etc) les satellites peuvent devenir défaillants, ne plus être contrôlables et rester en orbite. Il est donc nécessaire de développer des approches pour nettoyer l’espace de ces satellites défaillants et des débris déjà présents.
Sous la tutelle des agences spatiales internationales, de nombreuses solutions sont imaginées. Parmi les techniques à l’étude, les méthodes les plus avancées sont certainement celles basées sur la collecte [15, 16, 18].
Dans cette approche un satellite/robot est en charge d’aller collecter les déchets. Les techniques qui sont imaginées sont assez diverses et elles peuvent nécessiter des filets de capture ou des harpons. Une fois attrapés, les systèmes sont désorbités et ils brûlent alors dans l’atmosphère.
Quelques preuves de concept ont été développées : ainsi, la mission CLearSpace 1 est-elle en cours de développement pour une démonstration grandeur nature de son approche. La vérification devrait avoir lieu en 2025.
Cependant de nombreux travaux seront nécessaires pour mettre au point une solution efficace dans un environnement moins contrôlé que celui de l’expérience. Avant même d’aborder la technique de capture, des techniques et des algorithmes de traitement d’image et de l’information demandent à être développés pour détecter les déchets puis les suivre.
Une autre approche de suppression de déchets se fonde sur l’utilisation de lasers [17] depuis le sol ou l’espace. En fonction des projets, le but peut-être de détruire le débris ou bien de changer son énergie cinétique et de le désorbiter. Les technologies ne sont pas encore matures et les travaux continuent autour de solutions précises et de lasers adaptés à ce genre d’utilisation.
D’autres idées ont également été proposées telles que l’utilisation de faisceau ionique, des systèmes de fils d’attache ou de voiles mais là encore les concepts sont très loin d’être opérationnels…
En définitive, si l’espace est immense, l’espace pour les activités spatiales reste relativement restreint. Il est donc nécessaire de le protéger au risque de se retrouver dans une situation intenable. L’engouement pour la conquête spatiale par de nouveaux acteurs peut paraître enthousiasmant : il n’en demeure pas moins un facteur de risque en l’absence de régulation, de mutualisation et de solutions à long terme.
Ainsi la conquête spatiale associée au développement de nouvelles activités et services ne doit-elle pas faire oublier la question de la pollution. Une nouvelle forme de conquête de l’espace, durable et co-construite, reste donc à inventer si nous voulons, comme le souhaitait Youri Gagarine « continuer à voler pour toujours »